Pouvoir d'achat version Sarkozy : faire les poches aux plus pauvres
Par Christiane Taubira et Annick Le Loch
Députées PRG et PS
Intervention, à l'Assemblée Nationale, de Christiane Taubira au sujet du projet de loi sur le pouvoir d'achat :
On aurait presque envie de saluer le stakhanovisme législatif de la majorité sur le pouvoir d’achat et les injonctions réitérées du Gouvernement à une croissance qui, d’évidence, reste boudeuse. Mais dans ce texte le souci ne transparaît guère des petites pensions et des petits salaires, de tous ces gens qui comptent chaque centime chez le boulanger, qui ne peuvent monter sur un vélo pour échapper à la hausse du prix des carburants (soit qu’ils soient trop vieux, soit que la distance à parcourir soit trop longue), dont les enfants ne partent pas en vacances, tous ces gens qui doivent user de mille astuces pour faire avec ce qu’ils ont jusqu’à la fin du mois et qui payent la TVA au même taux que les bénéficiaires de gros revenus. À eux, vous faites les poches… J’appelle un chat un chat !
C’est appeler un chat un chat que de dire de ce texte ce qu’il est : un conte de Noël. Mais vos vœux pieux ne résisteront pas à l’épreuve des faits. En Guyane, l’État s’est déclaré propriétaire privé de 90 % du territoire et il provoque l’enchérissement artificiel des prix pour toute construction. Aussi longtemps que vous n’aurez pas modifié la politique foncière, aussi longtemps que l’État prendra ses aises dans le versement de budgets pourtant votés, tous les subterfuges possibles n’y feront rien, le blocage persistera. Les déclarations d’intention n’ont jamais eu d’impact sur la réalité et, aussi longtemps que vous n’imposerez pas le respect de la loi SRU, vous vous limiterez à décompter les communes qui en font le moins !
Quant au semblant de sommation faite aux entreprises de verser une prime exceptionnelle à leurs salariés (à hauteur de ce que vous leur croyez dû ! ) elle mérite que l’on s’y attarde un instant. Auriez-vous voulu susciter le malentendu que vous ne vous y seriez pas pris autrement, puisque vous ignorez sciemment les difficultés de trésorerie des entreprises visées, a fortiori quand il s’agit, à 90 %, de très petites entreprises !
La question du pouvoir d’achat ne peut se régler par de pareils expédients mais par la redistribution, un terme que vous tenez pour une grossièreté, sauf quand il s’agit de définir certain paquet fiscal estival. Traiter du pouvoir d’achat, c’est s’attacher à réparer les injustices, ce à quoi vos tours de passe-passe ne parviendront pas, non plus que les invocations mystiques à la croissance. Si vous en êtes là, c’est que vous refusez d’admettre que donner plus aux riches n’a jamais permis de relancer la consommation !
Or, sept millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté et 47 millions craignent de se retrouver un jour sans abri. Vous qui croyez aux effets psychologiques de la confiance sur la croissance, vous devriez méditer sur la signification de ce sentiment, si largement partagé, de précarité.
Et d'Annick Le Loch (PS) sur le même projet :
« Je travaille de 26 à 30 heures par semaine dans un hypermarché. Je gagne 760 euros par mois. Mes horaires de travail, en général, sont 10 heures-12 h 30 et 17 heures-22 heures. Je dis « en général » car cela peut changer, puisque mon contrat précise que je dois être disponible à tout moment dans la fourchette des horaires d'ouverture du magasin (de 10 heures à 22 heures). Mes horaires me sont communiqués une dizaine de jours à l’avance, si bien que je ne peux rien prévoir. Une formation ou un emploi complémentaires sont inconcevables. Pour moi, la hausse du pouvoir d'achat, ce serait de pouvoir travailler à temps complet [...] car je consacre 40 % de mon salaire à me loger. »
Ce portrait, c’est celui d’une salariée précaire, comme 31 % des salariés français. Ils n’étaient que 17 % il y a 30 ans. Oubliée des cadeaux fiscaux et du « gagner plus », cette France, invisible à vos yeux, est toujours perdante.
Depuis 2002, les 20 % de salariés qui ont les revenus les plus bas n’ont bénéficié d’aucun encouragement de votre part. Selon le Portrait social de la France dressé par l’INSEE pour 2007, de 2002 à 2005, la pauvreté monétaire a fluctué sans tendance nette, alors que de 1996 à 2002, la tendance à la baisse était évidente.
Votre projet oublie cette France invisible des 1 500 000 travailleurs pauvres, les familles monoparentales, celles qui n’ont pas de couverture santé complémentaire, et les retraités pauvres. Que sont devenues les promesses sur l’augmentation de 25 % du minimum vieillesse, la revalorisation des petites pensions et des pensions de réversion ?
Que peuvent attendre les retraités et les chômeurs, les travailleurs à temps partiel, les intérimaires, ceux qui, fidèles à une entreprise de moins de 20 salariés, ne sont pas concernés par les trente-cinq heures et les RTT ?
Lisez le dernier rapport du Secours catholique sur la géographie de la pauvreté. Vous y verrez qui sont les oubliés de votre projet.
La France va mal, c’est une France à plusieurs vitesses. Revaloriser le pouvoir d’achat ? Oui, mais pas pour ceux qui en ont suffisamment – ils sont nombreux, et c’est tant mieux – mais pour les plus modestes, les précaires, les ouvriers et employés qui travaillent dur : c’est là l’urgence.